Yahya Sinouar

Des prisons israéliennes au sommet de Gaza : portrait d'un chef du Hamas.

7/30/20254 min temps de lecture

Une enfance à Khan Younès

Yahya Sinouar est né en 1962 à Khan Younès, un camp de réfugiés très pauvre dans la bande de Gaza. Ce camp est sous administration égyptienne puis, après la guerre des Six Jours en 1967, sous occupation israélienne. La famille Sinouar a été chassée de son village pendant la Nakba en 1948. Elle est profondément ancrée dans la résistance palestinienne. Dès son plus jeune âge, Yahya a été témoin des violences et des restrictions quotidiennes imposées aux Palestiniens. Cette enfance forgera son avenir.

« Je suis un homme dont la vie a été tissée entre le feu et les cendres. J’ai compris très tôt que la vie sous occupation n’est rien d’autre qu’une prison permanente. »

Extrait du testament attribué à Yahya Sinouar, 2024

Son engagement politique et militaire

Avec la révolution islamique en Iran en 1979 et l'influence des Frères musulmans égyptiens, l'islam politique s'installe à Gaza. Sinouar étudie la littérature arabe à l'université islamique et commence son militantisme au sein du centre islamique. Cette association est fondée par Ahmed Yassine, un cheikh charismatique. Sinouar est arrêté à 2 reprises par Israël pour activité subversive en 1982 et 1985. Le 9 décembre 1987, la première intifada débute à Gaza. Le cheikh Yassine crée le Hamas. Concomitamment, Yahya Sinwar cofonde la milice Al-Majd dont la fonction est d'éliminer les Palestiniens qui collaborent avec l'occupant israélien. Cette milice deviendra plus tard le service de sécurité puis la branche militaire du Hamas. Ces actions lui vaut le surnom de "boucher de Khan Younès" par les Israéliens. En 1988, il est arrêté par Israël et condanné à 4 peines de prison à perpétuité pour son rôle dans l'assassinat de 2 soldats israéliens. Pendant ses 22 années d’incarcération, il étudie l'hébreu et prêche sa pensée politique aux autres détenus pour qui il devient un représentant.

« Mon testament, c’est que vous restiez fidèles au sang des martyrs. Ils ont pavé la route vers la liberté de leur sang, alors ne gaspillez pas ces sacrifices dans les calculs des politiciens ou les jeux diplomatiques. »

Extrait du testament attribué à Yahya Sinouar, 2024

La libération et la montée en puissance

Il est libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de prisonniers durant lequel 1 026 palestiniens sont libérés contre le soldat Gilad Shalit. Sinwar revient à Gaza en héros. Rapidement, il grimpe les échelons au sein du Hamas et en devient une figure centrale. En 2017, il est nommé chef du Hamas à Gaza, succédant à Ismaïl Haniyeh, et prend les rênes d’une organisation confrontée à l’embargo économique, aux conflits armés répétés, et à la division interne avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. Il participe à l’élaboration de la nouvelle charte politique du Hamas, adoptée la même année, qui reconnaît la possibilité d’un État palestinien dans les frontières de 1967, sans toutefois renoncer à la revendication sur toute la Palestine historique. Sinwar tente également de relancer un processus de réconciliation avec le Fatah de Mahmoud Abbas, mais les discussions restent infructueuses.

Yahya Sinwar et Ismail Haniyeh dans la bande de Gaza, le 25 avril 2017. (Crédit : Mahmud Hams/AFP)

Le 7 Octobre 2023 et ses conséquences

Le 7 octobre 2023, le Hamas déclenche l’opération « Déluge d’Al-Aqsa », une attaque massive et coordonnée contre Israël. L’assaut est mené par les Brigades Izz al-Din al-Qassam, branche armée du Hamas, avec la participation d'autres groupes armés palestiniens, notamment le Jihad islamique palestinien et des factions comme les Brigades Al-Nasser Salah al-Deen. Environ 3 000 à 6 000 combattants pénètrent en territoire israélien par voie terrestre, aérienne (deltaplanes motorisés) et maritime, rompant la clôture de séparation autour de Gaza en plusieurs points.Parmi les lieux les plus touchés figure le festival Nova (ou Supernova), un rassemblement musical près du kibboutz Re'im, où au moins 364 civils ont été tués, selon les données israéliennes (Haaretz).

Au total, 1 195 personnes ont été tuées en Israël lors de l’attaque, dont :

  • 815 civils

  • 379 membres des forces de sécurité

Environ 250 otages ont été capturés et emmenés à Gaza, incluant des enfants, des femmes, des civils étrangers et des militaires israéliens. Une partie d’entre eux est détenue par d'autres factions comme le Jihad islamique.

Dès les premiers jours suivant l’attaque, les autorités israéliennes et les agences de renseignement ont pointé Yahya Sinwar comme le principal architecte de cette opération. En tant que figure stratégique et politique influente au sein du mouvement, et en lien direct avec les Brigades al-Qassam, Sinwar est soupçonné d’avoir supervisé la planification de l’attaque. Selon plusieurs sources israéliennes et occidentales, c’est à lui que revient la décision de capturer des otages pour faire pression dans d’éventuels échanges de prisonniers.

Une mort retentissante

Les autorités israéliennes avaient souvent affirmé que Yahya Sinwar se cachait dans les tunnels sousterrains de Gaza pour échapper aux frappes militaires. Pourtant, sa mort, officialisée en octobre 2024, a montré que ces déclarations n’étaient pas totalement exactes. Sinwar a en effet été localisé à Rafah. Une vidéo virale diffusée par le service de renseignement israélien montre le drone survolant l’immeuble, Sinwar apparé au premier étage, tentant de repousser l’appareil avec un bâton. Il est frappé mortellement par une frappe ciblée quelques minutes plus tard. Dans son testament, Sinwar ne livre aucun détail sur l’opération du 7 octobre, mais réaffirme son engagement total dans la lutte armée.

Les derniers moments de Sinwar filmés par un drone israélien le 17 octobre 2024. Il est au premier étage d'un immeuble à Rafah et lance le bâton qu'il tient sur le drône.

Sinwar filmé avant le 7 octobre 2023 par une caméra du Mossad dans les tunnels sousterrains à Gaza.