Le Cheikh Ahmed Yassine

De la prière à la lutte armée : la vie du fondateur du Hamas

7/19/20253 min temps de lecture

Une enfance brisée, un destin forgé

Ahmed Ismaïl Yassine est né en 1936 dans le village d'Al-Jura près d'Ashkelon. La Palestine est à cette période sous mandat britannique. Il n'a que 12 ans lors de la Nakba en 1948. Les maisons de son village ont été brûlées. Sa famille, comme des milliers d'autres, a été forcée à l'exil. Elle s'est installée à Gaza, où il grandit dans des camps de réfugiés. À 15 ans, un coup à la colonne vertébrale lors d’un match de foot à l’école le laisse paralysé à vie. Il passera le reste de ses jours en fauteuil roulant, souffrant également de cécité partielle et de troubles auditifs.

Brillant élève et passionné par les textes religieux, il étudie la théologie islamique et devient enseignant. Il se consacre à la prédication dans les mosquées de Gaza. Dans les années 1970, il fonde une organisation caritative islamique qui servira de socle à la future structuration du Hamas.

L’essor d’un leader religieux et politique

En 1987, au déclenchement de la Première Intifada, Cheikh Yassine annonce officiellement la création du Hamas (Harakat al-Muqawama al-Islamiyya). Un mouvement islamiste armé issu des Frères musulmans, avec pour objectif la libération de la Palestine et l’instauration d’un État islamique. Contrairement à l’OLP laïque d’Arafat, le Hamas mêle religion et lutte armée.

Yassine prône la résistance contre l’occupation israélienne, à travers des actions sociales, éducatives mais aussi militaires. Sous sa direction, le Hamas devient une force influente à Gaza, se positionnant en opposition à la stratégie diplomatique de l’OLP.

En 1989, il est arrêté par Israël et condamné à la prison à perpétuité pour incitation au meurtre et organisation d’attaques contre des cibles israéliennes. Mais en 1997, après une tentative ratée d’assassinat en Jordanie par le Mossad, Israël accepte de libérer Yassine en échange de deux agents israéliens capturés. Il est accueilli en héros à Gaza.

L’opposition aux Accords d’Oslo et la radicalisation du conflit

Cheikh Yassine s’oppose catégoriquement aux Accords d’Oslo signés par Arafat et Israël en 1993. Il y voit une trahison de la cause palestinienne et refuse toute reconnaissance de l’État d’Israël. Sous sa direction, le Hamas lance une série d’attentats suicides en représailles aux exactions israéliennes, notamment après le massacre de la mosquée d’Hébron en 1994.

La montée du Hamas se fait au prix d’une intensification des divisions internes en Palestine. Alors que l’Autorité palestinienne tente de maintenir un processus de paix fragile, le Hamas sous Yassine adopte une ligne plus radicale : l’occupation ne peut être combattue que par la résistance armée.

Pour Israël, Yassine devient l’ennemi public numéro un, malgré son image de vieillard en fauteuil roulant.

Le Cheikh Armed Yassine à Gaza en 2003

Assassinat et héritage spirituel

Le 22 mars 2004, à l’aube, alors qu’il sort de la mosquée près de son domicile dans le quartier de Sabra à Gaza, Ahmed Yassine est assassiné. Il a été tué par un missile tiré depuis un hélicoptère israélien Apache. L’attaque fait également neuf morts autour de lui. Sa mort suscite une vague de condamnations dans le monde arabe et musulman. Des manifestations éclatent dans toute la Palestine. Le Hamas promet de venger son guide spirituel. Israël justifie l'assassinat par la nécessité de "prévenir des attentats" : Yassine est accusé d’avoir orchestré des dizaines d’attaques contre des civils israéliens. L'opération est ordonnée par le Premier ministre israélien Ariel Sharon, déjà responsable du siège d’Arafat à Ramallah et du durcissement de la politique sécuritaire.

Mais la disparition de Yassine ne fait qu'accroître l’aura du Hamas. En 2006, le mouvement islamiste remporte les élections législatives palestiniennes, un séisme politique qui mènera à la rupture et la guerre ouverte avec le Fatah.

Héritage et controverse

Cheikh Ahmed Yassine reste une figure polarisante. Pour ses partisans, il incarne la foi, le courage, la constance dans la lutte malgré son handicap, et la défense des pauvres et des opprimés. Pour ses détracteurs, notamment en Occident et en Israël, il reste le fondateur d’une organisation terroriste responsable de nombreuses victimes civiles.

Vingt ans après sa mort, le cheikh Yassine est toujours vénéré dans de nombreux milieux palestiniens. Son visage, couvert d’un turban blanc et marqué par la paralysie, reste un symbole de défiance face à l’occupation, mais aussi un rappel des fractures internes de la société palestinienne entre islamisme et nationalisme laïc.

Le Cheikh Ahmed Yassine présentant ses condoléances à Yasser Arafat à Gaza le 27 août 2001, après l’assassinat par Israël du leader palestinien Abu Ali Mustafa, dans un rare moment d’unité entre factions rivales.