Ahmed al-Sharaa: L'évolution d'un chef de guerre syrien
Des premières années d'engagement militaire à sa vision d'une Syrie future, entre terrorisme et diplomatie.
1/1/20257 min temps de lecture

Son parcours
Ahmed al-Sharaa est mieux connu sous son nom de guerre, Abu Mohammed al-Jolani. Ce nom provient de sa région natale, le Golan (ou Jolan en arabe). Suite à l’invasion israélienne du plateau du Golan pendant la guerre des Six Jours en 1967, sa famille quitta la ville de Fiq pour l’Arabie saoudite. Le père d’Ahmed, Hussein Ali al-Sharaa, titulaire d’un diplôme en économie de l’Université de Bagdad, travaillait comme ingénieur pétrolier à Riyad. Ahmed est né là-bas en 1982. À l’âge de 7 ans, sa famille retourna vivre à Damas, en Syrie.
Son activisme commence en 2000, après la deuxième Intifada (« soulèvement » en arabe), durant laquelle la population palestinienne s’est rebellée contre les politiques d’occupation israélienne. En 2003, lors de l’invasion américaine de l’Irak, Ahmed al-Sharaa rejoint Jama’at al-Tawhid wal-Jihad, dirigé par Abu Musab al-Zarqawi en Irak, qui devient Al-Qaïda en Irak en 2004. Il est emprisonné à Camp Bucca, une vaste prison américaine, en 2005. Il est libéré en 2011 et retourne en Syrie, où il adopte le nom de guerre « Abu Mohammed al-Jolani ». Il fonde le groupe militant Jabhat al-Nosra.
Deux ans plus tard, l’émir de l’État islamique tente de fusionner al-Nosra avec l’État islamique en Irak pour créer l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou ISIS), mais al-Jolani refuse et prête allégeance à Ayman al-Zawahiri (Al-Qaïda). Cette décision est en partie motivée par l’intention d’al-Baghdadi d’assassiner des chefs rebelles syriens. L’année suivante, le médiateur entre al-Nusra et Al-Qaïda est tué dans un attentat suicide par l’EI, marquant le début de la guerre ouverte entre al-Nosra et l’État islamique.
En 2016, il rompt les liens avec Al-Qaïda et renomme son groupe Fatah al-Sham Front. Il vise à s’intégrer aux factions rebelles syriennes et à se concentrer sur la révolution syrienne, tout en tentant d’améliorer l’image de son groupe et de se détacher de l’étiquette de « groupe terroriste ». Le 28 janvier 2017, son groupe fusionne avec cinq autres pour former Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Il prend la tête de HTS en octobre de la même année après la démission d’Abu Jaber. Pendant ce temps, le Département d’État américain offre 10 millions de dollars pour toute information menant à sa capture. Cette récompense est levée le 20 décembre 2024, après sa rencontre avec une délégation américaine.
HTS renverse le régime de Bachar al-Assad en seulement 12 jours et prend Damas le 8 décembre 2024. Al-Jolani devient la figure numéro un de la Syrie, mais comment ses intentions pour la Syrie ont-elles évolué et quelle est son idéologie actuelle ?
Documents irakiens divulgués
En avril dernier, des documents judiciaires et de renseignements irakiens concernant Ahmad al-Sharaa ont été divulgués par Sabereen News, un canal Telegram irakien pro-iranien affilié à « l’Axe de la Résistance » (Iran, Hezbollah et milices chiites).
Ces documents révèlent qu’il a été arrêté par les forces américaines à Mossoul le 14 mai 2005, sous la fausse identité d’Amjad Muzaffar Hussein al-Nuaymi, et détenu à Camp Bucca jusqu’à sa remise aux autorités irakiennes en avril 2010. Il a été libéré le 13 mars 2011, juste deux jours avant le déclenchement de la révolution syrienne. Ces documents confirment ce qu’il a déclaré dans des interviews (qu’il est resté détenu jusqu’en 2011), mais ne vérifient pas s’il est retourné directement en Syrie après sa libération. Sur ce point, les sources divergent : certaines affirment qu’il a brièvement occupé un rôle de leadership au sein de l’État islamique en Irak, en particulier dans la province de Ninive, tandis que d’autres suggèrent qu’Abu Bakr al-Baghdadi l’a envoyé en Syrie pour aider à établir une branche locale de l’organisation, qui deviendra plus tard Jabhat al-Nusra.
À ce jour, aucun document déclassifié américain ou irakien ne résout cette incertitude : les fuites publiées par Sabereen News confirment seulement sa détention jusqu’en 2011 et sa libération, mais ne donnent pas de compte rendu détaillé de ses activités dans les mois suivants.
Abu Bakr al-Baghdadi, l’ancien chef de l’EI, a également été détenu à Camp Bucca en 2004. Comme lui, Sharaa aurait renforcé ses réseaux dans cet environnement carcéral, décrit par plusieurs analystes comme un « incubateur djihadiste ».
Relations entre Israël et Jabhat al-Nosra
Depuis le début de la guerre en Syrie, Israël a adopté une politique de soutien humanitaire aux groupes rebelles opérant près de la frontière du Golan. Des rapports ont documenté des cas où des combattants de Jabhat al-Nosra ont été soignés dans des hôpitaux israéliens situés sur le plateau du Golan. Israël a justifié cette aide comme une mesure visant à maintenir la stabilité dans la région et à protéger les populations druzes vivant à proximité de la frontière. Cependant, ces actions ont suscité des controverses et des critiques, notamment de la part de la communauté druze israélienne, qui a exprimé son mécontentement face à la coopération avec des groupes liés à Al-Qaïda.
Ses intENtions
Interviewé en 2014 par Al-Jazeera, il déclare que la Syrie doit être gouvernée par leur interprétation de la loi islamique (la charia) et que les minorités chrétiennes, druzes ou alaouites ne seraient pas prises en compte. Dix ans après, il tient un discours plus polissé. Il affirme que les minorités ethniques seront protégées et auront leur place dans la société.
Lorsqu'on le questionne sur le régime des Talibans, il répond que ce sont deux sociétés complètement différentes, avec des cultures et des manières de penser différentes et que les Afghans sont une société tribale. Concernant l'éducation des femmes, il explique que son groupe dirigeait la province d'Idlib ces dernières années, et que les femmes y représentent plus de 60% des étudiants.
Sur le sujet de l'alcool, il répond que c'est un comité de législation qui se chargera d’établir une constitution et qui décidera. Enfin, sur le sujet du port du voile, il répond qu'il y a des problèmes bien plus importants pour la Syrie, comme la reconstruction des infrastructures, des hôpitaux, des commerces, et le retour des exilés.
Il a déclaré que l’élaboration d’une constitution et l’organisation de possibles élections pourraient prendre quatre ans et a invité toutes les factions armées à rendre les armes pour dissoudre tous les bataillons, y compris le sien, HTS.
Ahmed al-Sharaa, qui ne veut plus se faire appeler par sa kounia, a fait énormément parler de lui depuis qu’il est devenu le leader syrien. Certains le voient comme un agent du Mossad, ayant combattu le Hezbollah et les Iraniens tout en renversant un régime ennemi d'Israël. D'autres le considèrent comme la marionnette d'Erdogan et pensent qu'il pourrait régler le problème avec les Kurdes. Est-il un chef djihadiste grimé en homme politique, comme le pensent certains, ou un révolutionnaire ambitieux et repenti de ses allégeances passées ? Et surtout, est-il sincère dans ses propos en faveur d'une Syrie plus démocratique ? Seuls les mois et années à venir nous le diront, il est donc important de garder un œil attentif sur la Syrie.
Idlib Syrie par Osama Naser
Madame Al Sharaa






Latifa al‑Droubi, née vers 1984 à Al‑Qaryatayn (province de Homs), est l’épouse unique d’Ahamd al‑Sharaa.Ils se sont rencontrés à l’Université de Damas et se sont mariés en 2012, ils ont eu trois fils. Depuis sa présentation informelle en janvier 2025 à une délégation de femmes syrio-américaines à Damas où son mari a précisé qu’elle était sa seule épouse et exprimé son affection, elle a fait sa première apparition publique majeure début février 2025, lors d’une cérémonie de l’umrah à La Mecque avec son mari. Le 5 février, Latifa al‑Droubi a accompagné al‑Sharaa lors de sa première visite d’État en Turquie. Elle a été reçue par la Première Dame turque, Emine Erdoğan, qui a partagé une photo officielle de leur rencontre depuis le palais présidentiel d’Ankara. Elle a également été présente au 4ᵉ Antalya Diplomacy Forum en Turquie (11 avril 2025), où elle a rencontré à nouveau Emine Erdoğan et participé à des initiatives telles que la signature d’une déclaration du projet "Zero Waste", visant à promouvoir des causes environnementales et sociales.
Latifa al‑Droubi incarne désormais plainnement son rôle de Première Dame du régime post-Assad : celle d’une Première Dame cultivée (elle détient un master en langue et littérature arabes), accessible et modérée, un élément essentiel du repositionnement diplomatique syrien.